01
le masque de protection
02
le lavage de mains
03
le vestibule
04
le rouge à lèvres
05
le plastique
06
le sextoy
07
l'apéro
08
l'école
09
les rites funéraires
10
le télé-travail
02
une nouvelle mythologie toutes les semaines
04
rendez-vous le 5 mai
05
rendez-vous le 12 mai
05
rendez-vous le 19 mai

regards d'intérieur

Depuis mi-décembre et jusqu’au 25 mars, l'Hôtel de ville de Paris héberge l’exposition « Regards d’intérieur ». Cet événement retrace l’évolution des logements parisiens de 1980 à 2030. C’est en quelque sorte un récit de notre vie quotidienne et de notre histoire récente. Une épopée qui se construit grâce aux archives, photos, campagnes promotionnelles, maquettes de projets immobiliers en VR, etc.

Entre 1980 et 2000 l’évolution de l’espace domestique est significative. Elle est le miroir des changements sociétaux, comme de l’évolution de la structuration familiale. Mais l'exposition offre surtout une perspective renversante sur l'évolution de notre habitat depuis la grave pandémie de 2020 liée au SARS-COVID2.

L’année 2020 a marqué une véritable rupture en matière d'architecture intérieure. Avec l’épidémie, les appartements se sont repliés sur eux-mêmes, jusqu’à devenir des refuges, des appartements «introvertis» visant à nous protéger des menaces du dehors. La frontière entre l’extérieur et l’intérieur est devenue plus marquée et s’est matérialisée par la (ré)apparition des vestibules.

Au début de l’exposition, le visiteur est invité à regarder dans un rétroviseur. Il découvre les parisiens au pire moment du confinement. On découvre ou l’on se remémore qu’à cette période, nos entrées s’étaient transformées en espace fourre-tout. On y laissait ses affaires, vêtements et chaussures pour préserver l’intérieur de tout risque de contamination. D'après les données de l'Organisation Mondiale de la Santé, le virus pouvait persister sur les surfaces de quelques heures à plusieurs jours. A cette époque, ce risque justifiait bien de se déshabiller et d’entreposer ses affaires le temps que l’agent pathogène meurt.

Face à la persistance du COVID-19 au cours des années qui suivirent et de la prolifération de nouveaux virus inconnus, ce rituel de transition entre l’extérieur et l’intérieur s’est installé durablement dans les habitudes quotidiennes. L’entrée s’est progressivement muée en pièce de décontamination pour s’adapter à cette nouvelle routine.

Cette évolution du logement est assez édifiante lorsque l’on s’immerge dans les appartements parisiens de 2022 grâce à l’utilisation de la réalité mixte. Fini les transitions fluides entre les différentes pièces d’une habitation. On peut découvrir par exemple, des portes coulissantes pour délimiter l’entrée du reste du logement : des mesures de sécurité qui bousculent la perception traditionnelle de l’agencement de nos lieux de vie. Cette “nouvelle pièce” est optimisée et rationalisée pour qu’elle soit la plus fonctionnelle possible. Des espaces de rangement ont même été imaginés et intégrés du sol au plafond avec une certaine créativité, avouons le. Aucun élément de décoration ne semble avoir pris place dans ce nouvel espace. Le minimalisme se retrouve jusque dans le distributeur de gels hydro-alcooliques intégré dans la porte d’entrée.

Pour rendre compte de la démocratisation de ce néo-vestibule (ou sas post-COVID), le catalogue IKEA de l’année 2023 est exposé et permet de se documenter sur les différents kits à monter soi-même. D’autres dispositifs sont également mis en scène, comme des photos et des vidéos qui attirent notre attention sur les entrées “équipées” de lampes LED. Elles fonctionnent avec des UV-C afin d’éliminer à 99,9% le Covid-19 des surfaces. Le principe semblait simple : avant d’ouvrir les portes coulissantes, le protocole prévoyait d’appuyer sur un bouton placé hors de portée des enfants et 60 secondes après, les lampes détruisaient tous les agents pathogènes. Pourtant, ces dispositifs rudimentaires avaient provoqué bien des accidents d’utilisation au point qu’ils avaient été interdits en France.

L’avant dernière partie de l’exposition, quant à elle, s’attache à mettre en scène les entrées de nos propres appartements, revisités par les plus grands architectes du monde entier. Une lueur d’espoir, à mi-chemin entre l’art et le documentaire. On entre virtuellement dans ces prototypes en cuivres, un matériau choisi pour ses qualités anti microbiennes, son impact environnemental très limité et sa capacité à adopter des formes complexes. A chacun son style, sa forme, sa texture. Certains optent pour le brun, le roux, le chocolat, le prune, l’acajou ou encore l’ébène. Malgré la diversité de ces ouvrages, ils ont tous un point commun : l’utilisation systématique de légères courbures afin de donner une impression “enveloppante” au sas. En évoquant la chaleur, le calme et la tranquillité, l’effet cocon est saisissant et modifie notre ressenti vis-à-vis de ce protocole.

L’utilité de dispositif pour la décontamination disparaît au profit de l’expérience sensorielle proposée. Loin d’être anxiogène, cette approche inspirée du design organique célèbre à bien des égards le retour de l’harmonie et de la vie dans ces espaces trop longtemps cantonnés à leurs dimensions fonctionnelles et plus récemment sanitaires. Comme une lueur d’espoir, le visiteur s’approprie volontiers ces entrées « Cocoons ».

Ces installations cohabiteraient facilement avec nos cabines de bio contamination qui défigurent actuellement nos entrées. Elles permettraient de rendre ce moment de transition entre le dehors et le dedans plus agréable. Avec un taux d’équipement de plus de 60% des logements parisiens, difficile d’échapper à ce rituel qui n’est pas toujours agréable. Lorsque l’on arrive chez soi ou chez les autres, on doit faire face à la nébulisation, la centrifugation et l’évaporation d’un produit, soit disant miracle. Il a la propriété de nous décontaminer des agents pathogènes comme des effets de la pollution atmosphérique sur notre corps. Une révolution certes, mais qui peut être perçue comme agressive.

En réaction à l'environnement qui devient de plus en plus menaçant, les concepteurs ont trouvé de nouvelles façons pour que nous puissions nous sentir en sécurité à l'intérieur de nos habitats. En tout cas, c’est ce que semble vouloir nous amener à penser les dispositifs présentés à la fin de la visite.

L’exposition se termine ainsi sur un note discordante et tournée vers l’avenir. On découvre une initiative à contre-courant des règles sanitaires en vigueur. Plusieurs voix s’élèvent depuis peu contre cette aseptisation forcée, perçue comme une "crise de la sensibilité du vivant". La projection du film "La maison microbienne de Sault" propulse le spectateur au coeur d’un mode de vie disruptif (et/ou avant-gardiste) grâce à une nouvelle approche symbiotique qui fait de la maison un abris pour les bactéries et les virus. La cuisine, la salle de bains et l’entrée sont complètement réinventées pour ressembler à un oracle organique et médicinal. De quoi participer à éveiller les consciences et percevoir différemment l’invisible qui nous entoure...

Analyse anthropologique

Le logement est un espace hautement symbolique, que l’on peut considérer comme hétérotopique : c’est-à-dire un lieu réel qui héberge l’imaginaire. Il représente également une séparation entre l’intérieur et l’extérieur et depuis COVID-19, une rupture entre le monde d’avant et celui d’après. Lors du premier épisode pandémique de 2020, le logement est même devenu un sociofuge, précipitant les changements de modes de vie et de consommation. Les urbanistes, quand à eux, ont dès 2021 repensé les lieux et les bâtiments publics afin de favoriser les distanciations physiques et sociales.

La morphologie des logements a également dû s’adapter à la menace permanente et invisible qui s’est installée dans la vie quotidienne, à travers l’injonction à la désinfection/purification à l’entrée des habitations. En ce sens, deux stratégies bâtimentaires ont été mises en place. L’une dite de “rénovation” avec une adaptation des nouvelles contraintes à l’existant et l’autre dite de “reconstruction” avec l’intégration des normes de purification aux nouvelles construction.

Ces changements contraints de modes d’habiter visaient à intégrer les pratiques dites “sanito-réglementaires” dans les espaces domestiques de “transition” (vestibule en Europe, genkan (玄関) au Japon). Pour atteindre cet objectif, les professionnels du bâtiment ont mis en place un indice de purification symbolique, en quelque sorte un outil d’aide à la décision pour l’agencement du néo-vestibule (ou sas post-COVID-19) et de son intégration durable dans les pratiques de tous les jours. Ce système prend en considération différentes dimensions spatio-symboliques :

Système de classification de la saleté : de l’invisible au visible ;

Système de classification de la pollution : de l’air, des surfaces, de la peau ;

Système de classification des objets nécessaires : placard de déconfinement des vêtements portés à l’extérieur, cabinet de toilette-désinfection, espace de stockage pour les produits non-périssables jusqu’à disparition des traces éventuelles des virus, mise à disposition des réserves de masques, gants et gel hydro alcooliques, etc.

Système de sécurité minimum : raccordement aux évacuations, système de filtration et/ou purification de l’air, cloisons et menuiseries étanches, ouvertures et fermetures des portes du sas et du logement différenciées, etc.

Pour s’adapter à la diversité des habitats (collectifs, individuels) et à la disparité de leur densité en fonction des territoires, les professionnels du logement ont également établi des corrélations entre les seuils (fenêtre, porte), les espaces de transition ou zone intermédiaire (vestibules, sas, antichambres, corridors, halls ou cours d'entrée), les relations entre les espaces familiaux, collectifs et publics, et les conditions socio-symboliques de l’appropriation de ces nouveaux espaces et des pratiques de purification associées.

La prise en considération de l’ensemble de ces variables a permis la création d’une diversité de sas-type :

Création de sas commun dans les espaces de dégagement (couleurs centraux des immeubles, par exemple), adaptation des buanderies d’immeubles, des locaux à poubelles ou des caves quand la surface habitable était trop restreinte ;

Création de “kits” de 5 à 6 m2 qui s’installent à l’entrée des habitations individuelles, comme l’installation d’un véranda par exemple ;

Création d’un vestibule qui sépare l’entrée du reste du logement par l’installation de cloisons légères lorsque l’espace de vie restant est suffisant dans la pièce à vivre.

De nouvelles pratiques collectives se sont également développées afin de prévenir les risques de contamination dans les parties communes des habitats collectifs : désinfection hebdomadaire, mise à disposition d’équipements professionnels pour le lavage des surfaces et des objets, etc.

Du logement le plus classique aux habitats les plus atypiques (Cité Radieuse, bidonvilles, Auroville, etc), les populations ont fait preuve d’inventivité pour adapter leurs modes de vie et leurs habitats aux nouvelles contraintes sanitaires engendrées par COVID-19.

C'est déjà
demain

Dans le 5ème élément, Luc Besson imaginait nos logements futurs comme des sortes de cabine de bateau en plastique qui se nettoyait automatiquement. Une réponse viable à nos nouveaux impératifs d’hygiène ?

Avec la pandémie du COVD-19, le monde extérieur redevient une menace tangible. De manière plus large, les impacts de l’anthropocène transforment notre rapport à l’habitat. Entre la pollution, les vagues de chaleur extrêmes ou les épidémies, nos foyers retrouvent leur fonction première : nous protéger.

Le monde du design est le premier à s’en être emparé, transformant nos objets du quotidien en agents décontaminants. Dans le cadre du projet spéculatif “Create Cures”, Franck Chou a imaginé une lampe stérilisante qui élimine les agents pathogènes de nos entrées en 60 secondes grâce aux ultraviolets.

Sterilizing Lamp
Franck Chou

Le rideau Gunrid est lui déjà disponible en magasin. Lancé par IKEA, il purifie l’air intérieur grâce à son revêtement à base de minéraux qui décomposent les polluants. Pas si bête quand on sait que l'Organisation mondiale de la santé a déclaré que l'intérieur de nos maisons était davantage pollué que l'extérieur.

Gunrid
Ikea

Ce type de design est dit “inconscient”. Ces objets s’intègrent dans le quotidien des utilisateurs sans le bousculer. Quand sera-t-il quand les impacts du capitalocène seront devenus trop présents ?

À titre d'illustration paroxystique, le studio de design Superflux a créé "Mitigation of shock", une installation qui reproduit l'intérieur d'une maison en 2219. On peut par exemple y voir un kayak près de la porte, très utile pour faire les courses après l'inévitable montée des eaux. Des livres survivalistes sur les étagères aux plantes cultivées en micro-serres "do-it-yourself", Mitigation of shock nous montre une situation de logement axée sur les besoins et l'auto-suffisance, une forme de bunker "design".

Mitigation of shock
Superflux

Cette approche de nos habitats est “défensive”. Pourrions-nous construire des espaces de vie “proactifs”, ayant un impact positif sur notre environnement ?

Car la question de notre habitat doit aller au-delà d'une architecture des abris. Elle demande à ce que nous ré-évaluions nos interactions entre l’intérieur et l’extérieur. Littéralement.

Nous devons passer d’une logique de protection à une logique de symbiose. Philips Design a imaginé la maison microbienne dans cette optique. Au lieu d'avoir une maison totalement aseptisée, les designers adoptent une approche symbiotique de l'habitat où nos intérieurs deviennent des abris pour les bactéries positives. Dans cette maison très organique, les déchets de cuisine se transforment en ressources énergétiques et la salle de bains se réinvente en oracle médicinal.

Microbial home
Philips Design

La tâche d'un architecte semblait être toujours la même : concevoir un espace pour les humains qui l'habitent. Mais les architectes ont maintenant une nouvelle tâche à accomplir : concevoir un espace pour TOUT ce qui l'habite. Comme les bactéries.

Il s’agit ici de faire plus que du design biophilique (intégration de la nature dans mon habitat) ou du biomimétisme (imitation des processus naturels). L’agence XTU architects parle d’architecture holocène, une architecture où nos espaces de vie sont des prolongements naturels de l’ecosystème ambiant.

XTU

Le COVID-19 fait ressurgir les conceptions survivalistes de l'habitat, transformant nos maisons en bunkers hygiénistes. Le réchauffement climatique semble condamner nos habitations à n'être que des refuges temporaires. Si paradoxale soit cette conclusion, notre survie va dépendre de notre capacité à ouvrir notre habitat vers l'extérieur, vers l'autre, vers la nature, vers les bactéries, et le transformer en ecosystème positif, résistant aux environnements versatiles et extrêmes.

01

Le masque de protection

A visage (dé)couvert

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02

Le lavage de mains

La société aux mains d’argile

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04

Le rouge à lèvres

En toute liberté

lire
05

Le plastique

Uniques usages

lire
avec Guillian Graves
06

Le sextoy

Sexualités décuplées

lire
avec Aurélien Fache
07

L'apéro

Passion française

lire
08

L'école

Une idée folle

lire
09

Les rites
funéraires

Nouveaux visages de la mort

lire
10

Le télé-travail

La lutte finale ?

lire
avec Rémi Rousseau
La mythologieCe que nous dit l'anthropologieInspirations et imaginaires